G. R. Kaiser (Hrsg.): Deutsche Berichte aus Paris 1789–1933

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Titel
Deutsche Berichte aus Paris 1789–1933. Zeiterfahrung in der Stadt der Städte


Herausgeber
Kaiser, Gerhard R.
Erschienen
Göttingen 2017: Wallstein Verlag
Anzahl Seiten
549 S.
Preis
€ 29,90
Rezensiert für H-Soz-Kult von
Gwénola Sebaux, Faculté des Humanités, Université catholique de l'Ouest, Angers

Dans une ambitieuse édition des sources, Gerhard R. Kaiser nous propose un fascinant voyage dans le temps et l’espace au prisme de Paris, la „ville des villes“, telle que la perçurent et dépeignirent durant près d’un siècle et demi des observateurs allemands ou germanophones (autrichiens, suisses). Spécialiste de littérature allemande moderne et de littérature comparée, Gerhard R. Kaiser prolonge là de précédents travaux relevant également des transferts franco-allemands, en miroir à l’œuvre entreprise, côté français, par Michel Espagne. Dans la lignée de „l’histoire croisée“ (shared history) chère à Michael Werner, son édition s’articule autour de la dialectique entre histoire et anthropologie culturelle théorisée par Hans-Ulrich Wehler.1 Ce minutieux recueil de témoignages constitue un apport précieux et novateur à l’histoire des idées et des mentalités, dans une éclairante perspective franco-allemande.

L’auteur a donc rassemblé un impressionnant corpus qu’il a choisi d’ordonner par séquences historiques. Sept volumineux chapitres (d’inégale longueur) scandent ainsi l’imposant volume, remarquable par la diversité des sources et l’éclectisme des thèmes abordés. S’agissant des sources, pas moins de quelque 160 auteur(e)s2 livrent une vision polyphonique de Paris – et corrélativement de la France et des Français – en tant que chroniqueurs ou correspondants de presse, écrivains, romanciers ou poètes, voire historiographes et biographes, essayistes, diplomates, éditeurs, traducteurs, feuilletonistes ou simple contemporains curieux, auteurs de carnets de voyage et autres guides touristiques. Dans cette profusion littéraire et documentaire, les plumes féminines sont rares (pas plus d’une dizaine) et d’autant plus précieuses (Helmina von Chézy, Johanna Schopenhauer, Ida von Hahn-Hahn, Wilhelmine Lorenz etc.). Quant aux thèmes abordés, ils frappent par leur exhaustivité puisqu’ils embrassent tous les champs de réflexion: la politique, l’éthique et la morale, la philosophie, les sciences et techniques, la religion, l’histoire, l’art militaire, tous les arts, l’architecture, l’urbanisme et enfin, non des moindres, l’urbanisation sous l’angle sociodémographique, philosophique et politique. L’ensemble livre en définitive une vision kaléidoscopique de la capitale phare de l’Europe, de la période post-révolutionnaire jusqu’au terme du „long XIXe siècle“ – et même au-delà puisque l’arc chronologique englobe les trois premières décades du XXe siècle jusqu’à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.

Au plan méthodologique, Gerhard R. Kaiser s’efface et laisse parler les sources pour elles-mêmes, se contentant d’une analyse introductive et d’assez brèves synthèses en tête de chaque chapitre, où il remet judicieusement en perspective les expériences individuelles des observateurs germanophones et les grands jalons historiques. Ce sobre modus operandi a le mérite de confronter quasiment sans filtre le lecteur aux sources, favorisant de ce fait une immersion presque immédiate et charnelle dans Paris, affolante métropole mutante.

En générant une plongée originale dans l’histoire de la France post-révolutionnaire, ces commentaires ou analyses exogènes d’admirateurs de la modernité française esquissent en miroir les contours de „la pensée allemande“ et des modes de vie en pays de langue allemande, que laissent transparaître en creux, implicitement ou explicitement, les fragments présentés. Une réflexion plurielle sur les temporalités spatiales entrecroisées parcourt le livre comme un fil rouge. L’hyperurbanisation et les formes spécifiques de résilience urbaine analysées par ces infatigables chroniqueurs de la vie parisienne sont d’un intérêt tout particulier pour qui s’intéresse aux ressorts et à la dynamique de la modernité.

Les chroniques écrites entre la prise de la Bastille et l’exécution de Robespierre (Chap. I, 1789–1794) traduisent l’ébahissement face à l’ampleur et à la fulgurance des changements révolutionnaires. Schulz, Haller, Küttner, Reichhardt, Forster etc. soulignent l’accélération qui caractérise la dernière décennie du XVIIIe siècle et saluent les multiples innovations sociales. Steinbrenner vante l’essor des transports en commun bon marché. Schulz relève la politisation féminine à l’exemple des „poissardes“ de Paris, Campe s’émerveille de la toute nouvelle mixité sociale, Reichhardt se réjouit des opportunités d’ascension sociale pour les individus d’origine populaire.

Paris devient un terrain d’observation et d’expérimentation de l’accélération de l’Histoire. Il en va ainsi des années mouvementées du Directoire, du Consulat et de l’Empire (Chap. II, 1795–1815). La rupture radicale et polymorphe avec l’Ancien Régime est au cœur de l’attention. Les innovations politiques, sociales, culturelles et scientifiques sont passées au crible. Meyer vante le génie aéronautique français. Rebmann analyse ici „la révolution à l’échelle de l’individu“ (die Revolution im Einzelnen) „non moins surprenante que celle opérée à l’échelle de l’État“ (notamment l’émancipation féminine), et dresse là un portrait sarcastique des nouveaux riches (les „Incroyables et les Étonnantes“). Woyda commente la surabondance de l’affichage dans l’espace public – libelles politiques, affiches théâtrales, gros titres de presse, pétitions en faveur de l’esclavage, innombrables „Avis“ aux Parisiens. Bien d’autres essais témoignent d’une conscience aiguë des enjeux politiques, sociaux, éthiques et esthétiques „condensés“ dans la capitale.

Les commentaires dédiés aux quinze années entre l’abdication de Napoléon et la révolution de juillet (Chap. III, 1815–1830) se focalisent surtout sur les audacieuses innovations technologiques et les progrès de la médecine. Börne voit Paris comme „microscope du présent“ et „lunette vers l’avenir“. Philipp J. von Rehfues chronique le retour de Louis XVIII dans Paris occupée et pointe la suffisance du peuple français „qui ne tolère pas que [les autres peuples] lui imposent quoi que ce soit“. Kriesewetter célèbre en 1816 l’excellence de l’École polytechnique et de son modèle d’instruction. Börne s’extasie devant l’abondance des Cabinets de lecture accessibles à tous (Alles liest. Jeder liest). Pückler von Muskau observe dans les omnibus ou Dames blanches l’inouï brassage social.

Les révolutions de 1830 et de juillet 1848 génèrent un regain d’intérêt des Allemands pour Paris (Chap. IV, 1830–1848). Le rythme des changements de régime politique soulève un certain scepticisme. L’agenda parisien trépidant et l’atomisation de la société suscitent un regard désenchanté. Désillusion toutefois ambivalente, puisque la magie du spectacle à l’œuvre dans la capitale séduit plus que jamais. Le socialisme utopique est examiné avec un intérêt dubitatif. Schnitzler livre un commentaire critique de „l’un des phénomènes les plus étranges de notre époque“: la „secte“ des saint-simoniens, dont il a pu suivre en direct les débats. Gans célèbre „la pure convivialité“ à la française qui, dans le salon de Madame Récamier, vaut sans distinction de milieux. Si Dingelstedt vante en 1843 l’art de la flânerie solitaire „à la parisienne“ dont sont dépourvus les Allemands, Brentano s’émeut de la montée de l’individualisme urbain et des effets délétères de l’incessant bruissement de la métropole. Waagen préfère quant à lui glorifier l’universalisme de Paris.

La césure de 1848 marque la montée en puissance de la classe ouvrière, que documentent fébrilement les Allemands (Chap. V, 1848–1870/1871). Le recul de la misère, l’émancipation sociale et politique des couches populaires sont documentés avec intérêt. La physionomie de Paris changeant au gré des nouvelles règles d’urbanisme est une source constante d’étonnement et d’émerveillement. Lenz souligne en Paris la ville „de tous les temps“ – intemporalité fascinante à défaut de séduire totalement. Deutinger se préoccupe de la destinée du citadin, estimant que „dans l’urbain, l’humain sombre“. Szarvady s’amuse du feuilleton, „paroxysme périodique de traits d’esprit“, condensé „où se reflètent (…) toutes les ambiances passagères, toutes les innovations intellectuelles et morales“ et qui „n’est donc possible qu’à Paris“.

La période bornée par les deux grandes guerres inspire des reportages passionnés (Chap. VI, 1870/1871–1914). On y expose les fractures de la France et la fragilité de la IIIe République issue de la Commune après la défaite de 1870. Au tournant du siècle, l’intérêt se porte sur le champ de la littérature et des arts. Les expositions universelles de 1878, 1889 et 1900 captent l’attention générale, ce que Pecht résume ainsi: „Il n’y a véritablement que deux villes universelles: Rome et Paris. À l’une appartient le passé, à l’autre le présent; tout comme jadis tous les chemins menaient à Rome, aujourd’hui ils mènent tous à Paris“. Lessing évoque de son côté le „monopole des expositions universelles“ détenu par Paris depuis trois décennies. Auburtin dépeint les drogué(e)s de Montmartre, créatures de la nuit. Scheffler admire, en 1908, le paysage urbain, „la poésie architecturale des perspectives“ du Paris hausmannien.

La guerre éloigne de Paris les visiteurs allemands. Les écrits nostalgiques diffusés après leur retour (Chap. VII, 1914–1933) condamnent la „globalisation“ de Paris sous l’effet du tourisme de masse des Américains, grands vainqueurs de la guerre. Flacke pleure en 1917 „une idylle perdue“. Eberhardt s’irrite du monstrueux encombrement automobile mais vante le métro parisien. Hasenclever et Roth relèvent à leur tour au milieu des années vingt le triomphe de l’automobile. Ainsi se dissipe graduellement le mythe de la „ville lumière“, même si Moenius écrit encore, en 1928, une ode à Paris, „le cœur de la France“. Dans les années 1930 nombre d’Allemands y discernent encore, à l’instar de Benjamin ou Tucholsky, la singulière modernité et créativité. Tous ces écrits révèlent un intérêt passionné, une sympathie pour le voisin français à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

On notera pour finir que logiquement, c’est ici bien souvent l’éphémère, l’évanescent qui est „photographié“ et chroniqué, puisque les observateurs allemands lisent à Paris avant tout le temps qui passe (p. 15). Ces instantanés sont particulièrement précieux pour l’historien des mentalités. La vélocité des mutations d’une métropole futuriste incitait davantage au feuilleton-reportage qu’au roman. Au premier chef la presse favorisait cette accélération du temps.

Enfin, l’on conclura en soulignant la remarquable prégnance des représentations ainsi forgées dans l’aire allemande à la charnière du XVIIIe et du XIXe siècles. Nombre de topoï narratifs, non exempts d’une certaine ambivalence (entre attirance et répulsion), perdurent encore aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, comme l’attestent de récentes enquêtes sur les Allemands à Paris.3

Gerhard R. Kaiser fournit donc dans ce volume divertissant et instructif un nouvel apport significatif à l’histoire socio-culturelle des relations franco-allemandes. Le considérable matériel documentaire récolté renouvelle notre regard sur l’Histoire transnationale. Au vu des actuelles perceptibles tensions franco-allemandes ou européennes à l’ère des recompositions géopolitiques mondiales, l’insatiable curiosité des contemporains allemands, leur intime connaissance des évolutions historiques proprement françaises dont témoignent les sources convoquées donnent à réfléchir.

Notes:
1 Wolfgang Hardtwig / Hans-Ulrich Wehler, Einleitung, in: dies. (Hrsg.), Kulturgeschichte heute (Geschichte und Gesellschaft, Zeitschrift für historische Sozialwissenschaft, Sonderheft 16), Göttingen 1996, p. 7.
2 L’on renoncera ultérieurement, par souci de lisibilité, à l’écriture inclusive.
3 Gwénola Sebaux, Les Allemands à Paris. Entre amour et désamour. Réflexion au croisement de quelques expériences individuelles, in: Allemagne d’aujourd’hui 214 (2015), p. 164–182. (Étude parue en allemand dans une version plus courte: Die Deutschen in Paris – eine Hassliebe, in: Claire Demesmay / Christine Pütz / Hans Stark (Hrsg.), Frankreich und Deutschland. Bilder, Stereotypen, Spiegelungen. Wahrnehmung des Nachbarn in Zeiten der Krise, Berlin 2016, p. 131–146).

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